« L’échec amoureux n’est ni plus ni moins qu’un calcul coincé dans les reins. De la taille d’un grain de sable, d’un petit pois, d’une bille ou d’une balle de golf, une cristallisation de substances chimiques susceptibles de provoquer une douleur forte, voire insoutenable. Qui finit toujours par s’éteindre. »
L’entreprise, « un lieu totalitaire, un lieu de prédation, un lieu de mystification et d’abus de pouvoir, un lieu de trahison et de médiocrité. »

Livre de poche, 6,50€
Chirurgical. Ethnologique. Avec sa finesse et sa lucidité coutumière, Delphine de Vigan décrypte la descente aux enfers de deux insectes humains, pris dans la fourmilière parisienne. Une femme de près de quarante ans, veuve depuis près de dix ans, à la tête d’une famille de trois jeunes garçons. Avoir survécu à un tel drame devrait permettre d’en être quitte jusqu’à la fin de ses jours. Mais c’est sans compter notre société égocentrique et impitoyable. Après avoir rebondi et s’être construit courageusement une carrière, elle devient la proie de son employeur qui l’a prend en grippe du jour au lendemain. En pervers exercé, il entreprend alors de la déchiqueter lentement mais sûrement. On appelle ça aujourd’hui harcèlement moral au travail. Dévastateur.
L’autre insecte à passer sous la coupelle de l’auteur est un homme d’une quarantaine d’année. Il rêvait d’être chirurgien mais une querelle d’alcoolique l’a privé de trois doigts. Il exerce donc comme médecin itinérant pour les services d’urgence à travers la ville. Lui, c’est une peine de coeur qui le déchire. Il s’est épris d’une femme qui, en dehors de son corps, lui refuse tout. Il a tout tenté, espéré mais les années passent et comme un papillon à la lumière, il se heurte à la frigidité affective de cette femme.
Ce court roman d’à peine 250 pages est infiniment émouvant. Opressé, on ne peut s’empêcher de s’identifier aux personnages, et particulièrement à Mathilde, victime innocente d’un monde sans pitié, où les prédateurs dominent les lâches et où l’intégrité n’a plus aucune valeur. Delphine de Vigan dépeint avec une précision chirurgicale notre quotidien de Parisiens, s’attardant sans pitié sur notre formatage inconscient. Notre comportement sous terre est notamment édifiant. Et surtout terrifiant. On en sort avec un certain goût amer, confondu par la véracité de la caricature.